De l’utilisation du cliché (facile) – made in eXpatLife

20 avril 2015

De l’utilisation du cliché (facile) – made in eXpatLife

Si j’avais le crayon affûté, je vous ferais ici une petite galerie de portraits bien croqués, croustillants à souhait. Des personnages qui pourraient afficher leur bouille caricaturale sous un titre équivoque et racoleur, genre : « Les Blancs et les moins blancs du quartier », ou : « Les Expats, made in Uganda ». Un truc qui pue à des kilomètres à la ronde le cliché facile.

J’ai lu récemment que les « expats » – appelons-les donc comme ça – reçoivent déjà cette insigne distinction de ne pas être des « migrants », comme tout le reste du monde en transhumance dans des pays étrange (r)s. (un compatriote Mondobog s’est d’ailleurs déjà interrogé sur cette étrange restriction sémantique – ici.)

Que leur vaut cette remarquable étiquette ? Un parcours à l’envers : à l’opposé de ces personnes qui s’exilent, obligées de quitter leur pays pour survivre ou pour mieux vivre, ils condescendent à sortir du leur pour rejoindre ces contrées sauvages où les attendent, embusqués, les spectres du palu, de la typho ou du sida, les embouteillages monstrueux, les voleurs à la tire, les serpents, la moiteur, les hôpitaux sous-staffés, les mutins, les rebelles, les insurgés de la démocratie, les perdants de la loterie capitalo-libéralo-troisxsaintes – les pauvres, quoi. Ils (on) oublie (nt) peut-être au passage les autres spectres, restés au pays, la grippe, la rame de métro bondée, les pickpockets qui les y attendent, les couloirs de l’administration fiscale et ses enveloppes bien timbrées, le vent glacial de février, les trottoirs glissants, les bien-pensants, les vainqueurs, les travailleurs (et tous ces clodos et consorts qu’il faut toujours repousser hors cadre). (Et, bien sûr, les courses de Noël.)

Je ne m’y appesantirai pas plus. J’ai écrit quelque part sur ce blog que je ne dédaignerais pas, à l’occasion, l’utilisation de la loupe grossissante à des fins toutes louables. Et, je l’avoue, j’envie ces dessinateurs qui en trois traits parviennent à donner une image qui parle bien mieux qu’un long texte. Un peu de caricature, que diable, ne fut-ce que parce que c’est dans l’air du temps, non ?

Mais à chaque fois que je m’attèle au métier, quelque chose se liquéfie. Les traits que je m’apprêtais à tracer se diluent, le sujet s’esquive, les mots me manquent. Mon crayon devient tout mou. Et la caricature m’échappe. Je reste pantoise. Muselée.

(c) Breier 2012
(c) Breier 2012

J’ai pourtant l’ardent désir de témoigner. De faire parler des images. Mais voilà. Je ne parviens qu’au prix d’un effort pénible à m’y appliquer. Quelque chose en moi résiste obstinément à se contenter de peu. En d’autres mots : à se contenter d’images prêtes à l’emploi. (Vous faudrait-il des exemples ? Je peux vous assurer que la vie d’expat vous fournit à la pelle de splendides clichés.)

Mais pourquoi ? Parce que si je cède si vite, ma course – que dis-je, mon piétinement – s’arrête. Mon élan vers l’autre. Ma curiosité. Et qu’alors, cet insaisissable mystère de l’altérité devant lequel je reste muette, bègue ou stupide, je le maltraite. Le consomme. Le mastique comme un vulgaire chewing-gum, qu’on crache quand il n’a plus de goût.

Autrement dit, je le concède, je n’y suis pas. Un peu de simplicité, l’humour, la raillerie ou la satire n’ont jamais fait de mal à personne, bien au contraire (et c’est aussi un prof de lettres qui parle). Mais voilà, moi il me faut de longs moments de contemplation. Un voyage. Une conversation sans arrière-pensée. Une flânerie autour de l’autre. Des allers-retours incessants. Des moments où je peux simplement me tenir en silence à ses côtés. Des moments où je me mets en suspens – en d’autres mots : à l’écoute. Du coup, je tâtonne. Je tourne autour de mon nombril d’apprentie blogueuse. Je tergiverse, je «procrastine», je perds le fil. (Comme vous, probablement, devez l’avoir perdu depuis un moment, si vous êtes arrivé jusqu’ici.)

Eh quoi ! Qu’allez-vous penser ?! Je suis une expat… Alors, l’écoute, c’est douloureux, que voulez-vous. Je vis dans mon trou douillet et calfeutré. Je lorgne l’autre, là, par le trou de la serrure, après avoir soigneusement fermé la porte à double-tour. Je m’assois confortablement dans mon canapé et je prends bien garde à ne jamais pousser un mot au-dessus de l’autre, parce que ça fait mal aux oreilles. Parce que jamais, au grand jamais (…), je ne tombe dans le cliché facile (meeuh non!)

Et parce que cet éloignement – de tout ce qui m’entoure – ne permet pas, si je veux vraiment être honnête, de faire d’autre portrait que le mien…

…Eh bien voilà ! Un beau cliché, à portée de main, avec tout ce qu’il faut pour faire une bonne caricature, saine, vigoureuse, et même un peu méchante, comme on les aime – mais comment ne pas y avoir pensé plus tôt ?

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